5.3.14

Philippe Turc : Tutoyer le ciel


Sur Antifixion, on n'aime pas l'art contemporain…on le déteste on le concasse on le conspue…et le matin ça fait du bien. Alors, quand on trouve des choses incompréhensibles, des photos ratées d'amateur, fossiles mal-foutus, illisibles pétroglyphes, on s'arrête et on regarde. 
L'artiste a surtout l'air d'être en vacances permanentes…
C'est un bon début, car le travail, n'est-ce-pas, il y a des gens pour ça. 
Et donc à lire ci-dessous le texte du trés urbain Michel Enrici, fin homme de lettres et fidèle passeur. A consulter d'autres oeuvres de l'artiste en suivant le lien (j'accélère un peu)
Et sinon ? Sinon quoi..? Ah oui, sinon, la femme ukrainienne...Elle est beaucoup plus exubérante, énergique et évidemment fatigante que la femme russe qui, grosso modo, a le genre poupée froide, fine symétrie et chinoise retenue...Et donc l'ukrainienne, ou bien avoir des nerfs d'aciers, ou mieux, pas de nerfs du tout.
Bon, place au rêve, au vrai, sans poils autour.
Vincent Deyveaux


"la raison du sommeil" par Michel Enrici

"la sieste", 2013

On a dit de l'atelier de Philippe Turc qu'il était un cabinet de curiosités, une immense caisse à jouer dans laquelle s'entremêlent ses propres productions et une cueillette d'objets qui n'appartient qu'à sa subjectivité. 
Ainsi cohabitent la maquette du Cuirassé Potemkine et le regard de Lauren Bacall, une armure médiévale et le bâton d'un marcheur, les papillons et les étoiles, le Kamasutra et le manuel du pèlerin. Mille et une connexions qui s'organisent comme des connivences entre les formes, les matériaux et les liens symboliques, expression d'une 
magie de l'instant qui sur la plage nous fait découvrir les restes des choses et des objets quand le lessivage cosmique transforme le fortuit en énigme et le rien en potentiel magique. Le ressac ne dépose ni dessin, ni sculpture, au plus des à-plats de matériaux dont le meilleur principe de résistance avant le néant est la capacité à flotter.
"le randonneur", 2013
La pièce centrale de l'accrochage "la Sieste", que l'oeil attrape au niveau du sol avant de monter les quelques marches qui séparent la Galerie Mayer de la rue, est de l'ordre de cet à-plat qui rassemble feuilles et fleurs, dans la position d'un homme -un sous-préfet aux champs?- profondément installé dans un repos sidéral, les mains repliées sous la tête, elle même couverte d'un chapeau et lui même, de fleurs.


détail
Le gisant est vivant, n'en doutons pas, mais au coeur d'un sommeil éperdu pratiqué en soi comme le but d'une existence. Tant de latence, d'immobilité pourtant ne font pas corps. Le vent, le tourbillon de l'eau, le geste artiste d'un balayeur divin, auraient pu produire cette forme dont la définition irait plus vers l'anamorphose que vers la représentation. L'ensemble des pièces ainsi est soutenu par la force de ce sommeil et intervient comme une cosmogonie issue de la puissance du rêve. Saturne et consorts, lévitent dans l'immatérialité de l'accrochage dont les murs eux aussi sont vidés de toute représentation, mais occupés par des oeuvres qui sont autant de projections, véritables morceaux de rêve et de désir dont la grande force est de participer au principe atonique du sommeil.
"Saturne", 2013
Et si la raison du sommeil n'engendrait pas les monstres comme l'a définitivement exprimé Goya? Et si cette exposition était une phrase consommant le titre des oeuvres? Si la sieste du randonneur, tout bivouac bu, faisait apparaître l'aimable 
proximité de la lune, de Jupiter et de Saturne, "la Meije" serait-elle plus proche de nous? La Sieste refusait toute matérialité sculpturale: sculpture, elle était composée comme un leurre pour faire croire à l'absence de la sculpture. La "Meije" est sans doute l'autre tentation de l'exposition. L'érection tente à nouveau l'artiste. Sommet et glacier sont évoqués dans l'esthétique d'une maquette vériste, d'un décor de film d'animation.
détail
Etrange érection de la sculpture quand dans sa présentation elle s'émancipe de la gravité survolant le socle improbable d'un nuage. Lévitation donc d'un paysage ourlé dans les trois couleurs de l'innocence, le blanc, le vert, le bleu, héroïque ascension du paysage même qui tient pourtant à séduire et manifester la moue de ses neiges: Embrassons donc le paysage. Nils Olgerson, Peter Pan, Gulliver et Philippe Turc sont dans le même bateau, celui de la poétique des rêves.
"Bivouac", 2011
Il s'agit pour eux de prolonger le miracle de la marche des enfants funambules, enfants des somnambules. Comment être mieux, plus sincèrement et plus adroitement artiste? 



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