4.5.14

Que la Providence sauve Odessa, reine de mes revenants !…

         LES EUROMAIDAN SE RÉJOUISSENT DE L’INCENDIE SUR TWITTER
         PAR MARK AMES
03/05/2014

         (traduit par TM)
         Nos lecteurs anglophones pourront trouver la version originale de cet article au lien suivant :
        
J’ai écrit d’autres articles sur la collaboration entre l’agence américaine pour le développement international (USAID, sous-marin de la CIA) avec les milliardaires américains qui sont leurs alliés en vue de favoriser une révolution en Ukraine.
         Hier, cette révolution a fini par prendre la tournure d’une guerre civile de pleine ampleur entre les pro-russes et les nationalistes ukrainiens, laissant dans son sillage le plus lourd bilan en nombre de victimes — peut-être 50 morts, peut-être plus — depuis la révolution de février à Kiev.
         Les violences les plus graves et les plus affreuses ont eu lieu à Odessa, port sur la Mer Noire, où les militants pro-russes ont affronté un nombre bien supérieur de nationalistes ukrainiens, et dont le point culminant fut atteint lorsque les Ukrainiens ont incendié un bâtiment où les pro-russes étaient coincés. Le bilan n’est pas encore certain, mais le ministère de l’Intérieur de l’Ukraine annonce que 30 pro-russes sont morts asphyxiés par les gaz, et que 8 ont préféré sauter par la fenêtre plutôt que de périr par le feu — un total de 38 victimes, peut-être plus.
         Cet incendie a fait également des tas de blessés, il y a eu des arrestations, et il y a eu d’autres victimes plus tôt dans la journée au cours des échauffourées entre les deux camps.
         Le seul reporter occidental présent lors des incidents d’Odessa, Howard Amos, a pris des photos de nationalistes ukrainiennes en train de préparer des cocktails Molotov.
         Comme si la mort de tant de pro-russes n’était pas assez horrible, la satisfaction affichée par les soutiens des nationalistes ukrainiens s’est révélée absolument à vomir. Par exemple , @EuroMaidan — le principal haut-parleur Twitter des révolutionnaires pro-Maidan depuis le début des manifestations en novembre — s’est moqué des pro-russes brûlés vifs en tweetant : "Le toit, le toit, le toit, est en flammes ", et en associant une photo odessite d’une tente pro-russe en train de brûler, près de l’immeuble où 38 personnes ont trouvé la mort.
          Le Tweet @EuroMaidan compte 122000 adhérents, ce qui inclut à peu près tous les journalistes et les politiciens ayant des intérêts dans la région. Un autre Tweet @EuroMaidan, envoyé pendant les évènements sanglants d’Odessa décrivait les pro-russes comme des cafards balayés par un balai EuroMaidan bleu et jaune, où l’on distinguait le trident symbole de l’Ukraine.

         L’orgie Twitter des nationalistes ukrainiens se réjouissant des décès en masse des pro-russes à Odessa a rendu malade un bon nombre de journalistes que je suis et que je connais, qui soutiennent pourtant pour la plupart la cause ukrainienne.
         Ce n’est pas seulement abject, c’est aussi incroyablement idiot. Tous ceux qui ont le moindre sens de ce qu’est une guerre, et surtout une guerre civile, révolution ou guerre religieuse/ethnique, comprennent la valeur des martyrs. Les martyrs sont les armes nucléaires de ces guerres. Les nationalistes ukrainiens devraient le comprendre mieux que quiconque : en février, quelques heures après le massacre par des tireurs d’élite de 90 manifestants, Yanoukovitch a réalisé qu'il avait lâché un monstre et a été chassé du pays manu militari. C’est l’effet des martyrs : ils valent plus que des divisions entières.
         À présent, le camp pro-russe a ses martyrs anti-Maidan. La raison pour laquelle les sympathisants de la cause nationaliste ukrainienne se réjouissent aussi bruyamment m ‘échappe. Mais les guerres tendent à réveiller la bêtise et la soif de sang chez le commun des mortels.
Mark Ames.
Image symbole du port d' Odessa

        
ODESSA BELLE D’ENTRE LES BELLES
(Extrait de Vint, le roman noir des drogues en Ukraine, TM, Payot, 2006, épuisé)
LA SPLENDEUR EN RUINE
Un beau matin, sur un quai de gare ensoleillé, je débarquai dans la splendeur en ruine d’Odessa, d’autant plus capiteuse malgré les avancées mercantiles ponctuant le paysage — où les drogues sont partout. La vulgarité affichée des vitrines et des enseignes lumineuses — surtout les casinos — n’entame pas la beauté meurtrie de la ville, qui en a vu d’autres. Au contraire, elle la renforce d’une note d’irréalité, comme s’il fallait une touche criarde pour souligner la majesté et la modestie des rues d’Odessa. On devine quels rêveurs elle engendre, et comment les toxicos chasseurs de chimères ont pu y trouver leur Amsterdam orientale. Le soir, comme à Moscou autrefois les rues du centre sont obscures. Les quelques édifices éclairés — la mosquée de la rue Velika Arnaoutskaïa, le supermarché chromé électro près de la gare —surgissent comme des aimants lumineux dans la masse des bâtiments fantômes qui retrouvent la nuit leur allure légendaire, à mesure que l’ombre gomme les outrages du temps : juive, grecque, russe impériale, avant-poste et refuge, orgueil de la marine. Les camés y parlent un argot plus imagé, plus allusif. Jusque dans les confins de la ville, dans les khroutchevski en décrépitude, Odessa et ses habitants gardent un air du port, grouillant de vice et d’intelligence, l’air marin.
         (…)
         TM, 2006