17.2.16

Le poète ne dit rien sur les funérailles de Staline

Kropivnitski fut un de ces maîtres légendaires dont on n'entend parler qu’à titre posthume. Kira Sapguir, dans nos pages d’Antifixion, a décrit  le vieux sage qu’il était probablement, traversant le stalinisme et ses suites, sans jamais se soucier d’autre chose que de l’art. Il en subit les conséquences. Mais rien ne lui importait, semble-t-il, que « l’art pour l’art », à rebours du dogme de fer  qui corsetait son époque. De nombreux poètes, peintres et écrivains, s’abreuvèrent à sa source. 
Mon ami Limonov lui rendit visite dans son humble isba provinciale il y a des décennies, très jeune poète à l’époque, déjà brouillé avec la "dissidence" — un peu comme Allen Ginsberg préféra, comme il me le confia peu avant sa mort, aller « apprendre auprès du vieux maître Ezra Pound », plutôt que de faire le révolutionnaire à la Convention Démocrate de Chicago, en 1968, un événement marqué d’émeutes, et entré dans l’Histoire. Le poème ci-dessous, écrit à l'époque de la mort de Staline, n'y fait même pas allusion, alors qu'il en est imbibé. Kropivnitski était au-dessus de ça, bien qu'il ait sa façon de dire que même les dictateurs sont mortels.


(Vers traduits par TM)
Violoniste
C’est au crématorium que je jouais
Au violon de funèbres morceaux.
Et quelque part quelqu’un mourait…
Le mort gît dans cette tombe, blanchis sont ses os.

Voici la tombe, le défunt…Chorale retentis
De messes requiem sans merci…
Je jouais et m’affaiblissais
Devant des suaires abaissés et secrets.


J’ai joué et joué, pendant des années.
Et à présent je suis vieux et grisonnant
Moi-même proche de l’agonisant…

Mais le talent de soliste me fut donné…
Retentis l’orchestre, retentis l’orgue,
Retentissez sanglots, à la morgue !
Evguéni Kropivnitski, mars 1953







Скрипач
Я в крематории играл
На скрипке траурные пьесы
А где-то кто-то помирал…
Вот гроб, а в нем мертвец белесый

Вот гроб, мертвец… звучи хорал
Заупокойной жуткой мессы…
Я играл и обмирал
Пред тайной спущенной завесы.

Играл я много, много лет.
И вот теперь я стар и сед,
Сам близок к умиранию…

Но мне талант солиста дан…
Звучи оркестр, звучи орган,
Звучите вы – рыдания !
Евгений Кропивницкий

6 марта 1953