15.5.17

Sensationnel: l'homme qui avait vendu une Série Noire au nouveau Premier Ministre, Édouard Philippe!

DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX : 
Jean-François Merle, Jérôme Leroy, Thierry Marignac, au Festival polar au Havre 2015, juste avant l'irruption d'Édouard Philippe.
         C’est après une longue traque que nos reporters ont réussi à localiser le sexagénaire grisonnant d’aspect anodin, habillé dans des tons neutres au centre de toute l’affaire : son nom crépitait sur les télex d’agences de presse, les rédactions de nos concurrents avaient lancé leurs équipes jusque dans l’Oural où cet individu passe une notable quantité de son temps, Canal + le cherchait dans les bas-fonds de New York, un autre de ses repaires. Mais, fidèles à leur public, soldats de l’info,, intrépides, les limiers d’ANTIFIXION l’ont retrouvé là où l’on l’attendait le moins, le long des quais bétonnés d’un grand port normand dont nous tairons le nom, entre le quai d’Irlande et le port de plaisance. Un seul détail chez cet individu qui ne payait décidément pas de mine pouvait attirer l’attention : il portait des lunettes noires et simultanément faisait tournoyer un grand parapluie sans s’inquiéter du paradoxe. Cette excentricité a permis à nos investigateurs d’entrer en contact avec Thierry Marignac, puisque c’est le nom de cet anonyme.
         —Vous vous rendez compte de la contradiction ?…
         L’individu s’est mis à ricaner.
         —1) Je suis incognito, 2) vous ne connaissez pas le climat maritime Nord-Atlantique si vous posez des questions aussi cons. Une minute vous êtes sous les feux ardents de Phébus, la suivante, il tombe des hallebardes.
         —Vous connaissez la nouvelle ?… Sur le gouvernement ?…
         —Vous arrivez de Pontoise ?… Vous croyez qu’on traîne un œil mélancolique sur les grands cargos bourrés d’une pacotille navrante en provenance de Chine, sous un ciel assez bas, devant des flots gris fer pour penser au gouvernement ?… Vous trouvez ça logique ?…
         Nos reporters se sont alors éloignés un chouïa — l’individu avait l’air de mauvais poil et s’échauffait de plus en plus.
         —À quoi pensez-vous alors, c’est pour un reportage…
         —À tout l’oseille que je perds, eh, bamé, en ne faisant pas de littérature engagée, de gauche de préférence, ça rapporte plus.
         L’individu semblait tout à coup plus mélancolique, moins agressif, nos reporters ont saisi la balle au bond.
         —Justement, aujourd’hui 15 mai 2017, il est beaucoup question dans toute la presse de vos liens avérés avec le nouveau Premier Ministre français…
         L’individu a eu une expression sceptique.
         —Faudrait voir à m’éclairer, les gars, le scoop va vous coûter bonbon.
Jérôme Leroy, Thierry Marignac, peu avant l'irruption de…

         Devant un nombre stupéfiant de bières belges payées par la rédaction, l’individu a fini par cracher le morceau.
         —C’était en 2015, oh, je n’en suis pas fier, je cherchais à redorer mon blason dans le milieu du polar, des ratés et des incapables, je me suis inscrit dans une asso de fonctionnaires en retraite. Là j’ai présidé  un certain nombre de commissions où on n’avait pas besoin de moi. Bref, un matin où j’étais dans la choucroute vu mes beuveries de la veille, pour le déjeuner à la Société des Régates du port dont je ne dirai pas le nom, on remet le prix du festival polar à un crétin marchand de tapis qui passe à la télé. Quand j’ai commencé à l’ouvrir, Jérôme Leroy m’a rappelé de ne pas perdre une occasion de me taire. Quel faux-jeton, celui-là quand il s’y met. Ça se voyait sur sa tronche qu’il ne prenait pas lui non plus le crétin lauréat pour Raymond Chandler, ni la bouse qu’il avait pondu à l’intention de ses crétins de lecteurs pour The Long Goodbye (chef-d'œuvre absolu, dont Robert Altman a tiré un film aussi envoûtant que l'air qui l'accompagne… There's a Long Goodbye… And it happens everyday…). Oh, il me le paiera. Le crétin lauréat se répandait, Jérôme, moi et Velda on était dans le coin le plus éloigné vers la mer, et quand le crétin lauréat a fini d’étaler sa bêtise, la conseillère socialiste de la région est intervenue pour rappeler  que depuis qu’on votait pour elle, l’asso polar de fonctionnaires avait des subventions. Mais où était le maire ?… Édouard Philippe, présentement Premier Ministre ?… On l’attendait !… Son speech !… Il a fini par arriver, avec un livre en main, alors qu’on en était presque à aller bouffer sans l’attendre, grâce aux subventions sociales-dèmes qui nous donnait aussi le kir apéritif — la conseillère socialiste s'est taillée sans même le saluer, la vermine post-gauchiste au pouvoir n'a pas de manières, quoi, on leur donne pas de leçons de maintien dans le Lubéron?…  Les mélenchono-NPA farouches de l’asso polar se sont alors précipités vers moi : Thierry, Thierry, le maire a acheté ton livre !… Il faut comprendre qu’en province, le maire… c’est le maire, fût-il du bord opposé. On avait éloigné le maire, parti dans les tentes du festival, à l'autre bout de la plage, alors qu’on était au restau des régates. Et, parmi toutes les œuvres proposées, l’actuel Premier Ministre avait choisi Renegade Boxing Club,  ma Série Noire (Gallimard, 2009). Pourquoi ? Il me confia, au cours de notre bref échange, lorsque je lui signai mon chef-d’œuvre, qu’il allait boxer lui aussi, tôt le matin quelques fois par semaine dans une salle des hauteurs de la ville. Il faut dire qu'il était très grand, une putain d'allonge, quand ça tombe de si loin, ça sonne comme une matraque, croyez-moi, j'en ai vu des comme ça. Je pensais surtout que son assistante lui avait dit : Il y a un seul mec de droite dans cette asso de fonctionnaires, c’est lui Monsieur Édouard !… (évidemment, ça fait un  peu maison close, d'appeler son patron par Monsieur suivi du prénom, mais avec EP, pas moyen de faire autrement!). 
Oui, c’est ma réputation dans le milieu du polar, un crétin (encore) gras à lard, assez semblable à une serpillière, une épave que je connais depuis une éternité à cause de Rivages, en parlait encore récemment à mon chef de la MDL, en lui fourguant un de ses polars : Comment tu peux t’entendre avec Marignac ?… Il est de droite !?…  La fatwa de ce milieu d’imbéciles formatés. L’actuel Premier Ministre me consacra cinq minutes, sur la boxe, et l ‘écriture. Je lui posais des questions en douce, comment est-ce qu’il avait le temps ?… Il m’avoua qu’il n’était pas forcément bon, que c’était pour lui une forme de défoulement. Quant à écrire, il fut plus elliptique encore. C’est vrai, il est Premier Ministre ?…
         Devant l’ébriété manifeste de l’individu à ce stade, nos reporters n’ont pas répondu. Mais il a poursuivi :
         —Je me voyais déjà dans les salons d’honneur de la mairie, conseiller culturel, tous les accès du port ouverts à mes investigations pour mon prochain roman, on disait qu'il avait les dents longues (dont acte aujourd'hui même) je me voyais déjà au Secrétariat d'État à la Culture, et que je t'interdis les assos polar racaille gauchiste, et que je te supprime les subventions, et je ne parle même pas des exécutions sommaires des apparatchiks dont j'ai la liste. Mais, à peine deux mois plus tard, lors de l’anniversaire de la ville, je frimais avec une jolie femme, je le connais, il n’a rien à me refuser !… Pourtant, en m’approchant de la tribune, le cerbère de service me demanda mon accréditation, et Édouard Philippe  lui-même ne répondit pas à mon signe de la main. La politicaille, plus ça vous aime, plus il faut se méfier…
Plus tard, je fus exclu de l'asso polar fonctionnaire, cherchant à les empêcher de se faire arnaquer par une vermine daeninxiste, qui cherchait à les embrouiller. Ma verdeur de langage…